Un enfant de 14 ans, accusé d’avoir volé une somme d’argent, est interpellé dans un marché africain bondé. Sans représentation légale, sans soutien psychologique, il est conduit au poste, interrogé, et parfois maltraité. Ce scénario n’est ni rare ni exceptionnel : c’est la triste réalité de milliers d’enfants en Afrique, confrontés à un système judiciaire qui les marginalise. Qu’ils soient en conflit avec la loi, victimes de violences ou simplement en besoin de protection, les enfants rencontrent des barrières systémiques, sociales et institutionnelles. Alors que les textes internationaux reconnaissent pleinement leurs droits, leur effectivité sur le continent reste marginale.
Cet article n’est pas une simple analyse juridique. C’est un cri, une alerte, une invitation à l’action. Parce que chaque jour qui passe sans justice équitable pour les enfants est une atteinte grave à leur dignité, à leur avenir et au fondement même de notre humanité. Il est temps de dénoncer, de mobiliser, d’agir. Que chacun, juriste, citoyen, responsable politique, parent, ONG ou journaliste, prenne part à ce combat : faire de la justice pour enfants une réalité vivante, et non une promesse morte.
I. DES ENFANTS INVISIBLES AUX YEUX DE LA JUSTICE : TYPOLOGIE ET VULNÉRABILITÉS
A. LES ENFANTS EN CONFLIT AVEC LA LOI
Nombre d’enfants africains entrent en conflit avec la loi pour des infractions mineures : vols de rue, fugues, actes de survie. Or, ces enfants sont souvent privés de liberté sans qu’aucune mesure alternative ne soit envisagée. Dans certains pays, ils sont incarcérés dans des établissements pour adultes, exposés à des abus, sans accompagnement psychologique ou éducatif. Les procédures sont expéditives, les garanties de procès équitable bafouées. L’absence d’une défense spécialisée pour mineurs aggrave la précarité juridique de ces enfants. Pourtant, la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), notamment dans son article 40, insiste sur la nécessité d’un traitement respectueux de la dignité de l’enfant. La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant renforce cette exigence en appelant à des procédures adaptées et des alternatives à la détention.
B. LES ENFANTS VICTIMES : DES VOIX ÉTOUFFÉES
Les enfants victimes d’abus sexuels, de maltraitance familiale, d’exploitation ou de traite humaine rencontrent d’immenses obstacles pour porter plainte ou engager une procédure judiciaire. Souvent, leur parole est remise en question, minimisée, voire ignorée. Dans certains cas, les violences sont perpétrées par des proches ou des figures d’autorité, ce qui rend la dénonciation particulièrement difficile. La peur de la stigmatisation, l’influence des traditions patriarcales, et l’absence de structures spécialisées de prise en charge renforcent leur isolement. De nombreux systèmes judiciaires n’offrent ni cadre confidentiel d’audition ni mesures de protection adéquates. Cela contribue à une impunité généralisée des auteurs et à une désillusion des enfants vis-à-vis de la justice.
C. LES ENFANTS EN QUÊTE DE PROTECTION : LES GRANDS OUBLIÉS
Parmi les plus marginalisés figurent les enfants vivant dans la rue, les enfants migrants non accompagnés, les enfants en situation de handicap, ou encore ceux privés d’identité légale. Non enregistrés à la naissance, ils ne figurent dans aucun registre administratif, ce qui les prive d’un accès aux services sociaux et à la justice. Cette invisibilité juridique est aggravée par l’absence de dispositifs de tutelle ou de protection adaptés. Le droit à la protection, proclamé dans l’article 3 de la CDE et repris dans plusieurs instruments régionaux, reste théorique pour ces groupes. En outre, l’absence de coordination entre les institutions (services sociaux, justice, santé) crée des situations de non-recours à la justice, et laisse les enfants exposés à des violations massives et non réparées de leurs droits.
II. DES OBSTACLES MULTIPLES : ENTRE BARRIÈRES SYSTÉMIQUES ET CULTURELLES
A. UNE MÉCONNAISSANCE GÉNÉRALISÉE DES DROITS DE L’ENFANT
Dans de nombreuses sociétés africaines, les droits de l’enfant ne sont ni enseignés ni vulgarisés. Les enfants ignorent qu’ils peuvent être entendus en justice, demander réparation ou bénéficier d’une protection. Les familles, souvent peu informées, ne savent pas vers qui se tourner en cas de conflit. Pire encore, des professionnels de justice (juges, policiers, procureurs) méconnaissent eux-mêmes les standards internationaux applicables à l’enfant. Cette méconnaissance favorise les abus, les violations de procédure et les décisions inadaptées. Il est essentiel de développer une culture juridique qui place l’enfant au cœur du système judiciaire.
B. DES STRUCTURES INADAPTÉES AUX ENFANTS
Les palais de justice ne sont pas conçus pour accueillir des enfants : files d’attente interminables, salles d’audience intimidantes, absence d’interprètes, délais longs, langage juridique hermétique. Tout concourt à éloigner l’enfant de la justice. Dans plusieurs pays, il n’existe pas de juridictions spécialisées pour mineurs. Les enfants sont jugés par des tribunaux ordinaires, sans accompagnement spécifique. En détention, les infrastructures sont vétustes, surpeuplées, et insalubres. Peu d’établissements offrent des programmes éducatifs ou psychosociaux. Cette inadéquation structurelle traduit un désintérêt des politiques publiques pour la justice des mineurs.
C. DES OBSTACLES CULTURELS ET SOCIAUX PROFONDS
La perception de l’enfant comme un être sans droit est encore dominante dans plusieurs milieux traditionnels. L’autorité parentale y est parfois assimilée à un droit de coercition, voire de châtiment. Dans certains cas, les familles préfèrent « régler en interne » des affaires d’agression sexuelle ou de violence, souvent au détriment de la victime. L’idée même de porter plainte contre un adulte est perçue comme une transgression des normes culturelles. Ces facteurs culturels, renforcés par la pauvreté et le faible accès à l’éducation, expliquent en partie la faible judiciarisation des atteintes aux droits des enfants.
III. UN CADRE JURIDIQUE RICHE MAIS INSUFFISAMMENT APPLIQUÉ
A. DES TEXTES DE RÉFÉRENCE INTERNATIONAUX ET RÉGIONAUX
La Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), dans son article 8, affirme que toute personne a droit à un recours effectif contre les actes violant ses droits fondamentaux. Cette garantie s’applique également aux enfants. La Convention relative aux droits de l’enfant (1989) pose des normes précises sur la justice pour enfants, en consacrant notamment le droit d’être entendu, le droit à une assistance juridique et le principe de l’intérêt supérieur. La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990), quant à elle, intègre des réalités africaines spécifiques et insiste sur la communauté comme acteur de protection. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et d’autres conventions sectorielles (contre la torture, contre la traite) complètent ce dispositif normatif.
B. UNE TRANSCRIPTION INÉGALE EN DROITS INTERNES
Malgré la ratification de ces instruments, leur application en droit national reste incomplète. Certains pays ont élaboré un Code de l’enfant, d’autres se contentent de dispositions éparses. La hiérarchie des normes n’est pas toujours claire, et les juges manquent de directives pour intégrer les normes internationales. Les enfants n’ont parfois pas de mécanisme de recours accessible et adapté à leur âge. Il existe un écart flagrant entre les engagements internationaux et la réalité des lois internes.
C. DES LOIS PEU OU MAL APPLIQUÉES SUR LE TERRAIN
L’application des lois protectrices reste sporadique. Les budgets alloués à la justice des mineurs sont dérisoires. Le manque de coordination entre les ministères (Justice, Protection sociale, Éducation) nuit à l’efficacité des mesures. Le personnel judiciaire est parfois mal formé, et les mécanismes de suivi des violations des droits de l’enfant sont inexistants. L’impunité règne souvent, même lorsqu’un enfant est victime de traitements inhumains. Pour remédier à cette inertie, des réformes profondes de la gouvernance judiciaire sont nécessaires.
IV. POUR UNE JUSTICE PROTECTRICE : RESPONSABILITÉ COLLECTIVE ET ACTION CONCERTÉE
A. FORMER ET SPÉCIALISER TOUS LES ACTEURS JUDICIAIRES
Les magistrats, officiers de police judiciaire, greffiers, travailleurs sociaux, mais aussi les agents des services d’état civil doivent être formés à la prise en charge de l’enfant. Cela suppose des modules obligatoires dans les écoles de magistrature, des sessions continues, des guides pratiques, des référentiels. Il s’agit également de créer des unités spécialisées au sein des forces de l’ordre, capables de recueillir la parole de l’enfant avec bienveillance, dans des conditions respectueuses de ses droits et de son développement.
B. MOBILISER LES ONG, LES COMMUNAUTÉS ET LA FAMILLE
Les ONG sont souvent en première ligne pour dénoncer les abus, offrir un soutien juridique ou psychosocial, et documenter les violations. Leur rôle doit être valorisé par les États et coordonné dans une logique de partenariat. Les communautés locales, les chefs coutumiers, les leaders religieux doivent aussi être sensibilisés au rôle qu’ils peuvent jouer pour prévenir les violations et faciliter le recours à la justice. Enfin, la famille reste le premier espace de socialisation et de protection de l’enfant : il est crucial de l’inclure dans toute stratégie judiciaire, en lui offrant information, accompagnement et renforcement de ses capacités éducatives.
C. CONSTRUIRE UNE JUSTICE ADAPTÉE, ACCESSIBLE ET HUMAINE
Une justice adaptée signifie une justice à la hauteur de l’enfant : des procédures simplifiées, un langage clair, des délais rapides, une aide juridictionnelle effective, des audiences à huis clos, et un accompagnement global. L’enfant doit être entendu, respecté, et jamais revictimisé par le système judiciaire. Cette justice doit s’inscrire dans une approche intersectorielle, intégrant les services sociaux, de santé et éducatifs, afin de répondre aux besoins complexes des enfants en conflit avec la loi ou victimes. En humanisant la justice pour les enfants, c’est toute la société qui avance vers plus d’équité, de dignité et de progrès.
L’accès à la justice des enfants en Afrique est une question de dignité, de droit et de conscience collective. Les textes existent, les engagements sont pris, mais les enfants continuent d’être exclu.e.s d’un système censé les protéger. La responsabilité ne repose pas uniquement sur l’État : elle est partagée entre les familles, les professionnels de la justice, la société civile et les communautés. Construire une justice plus juste pour les enfants, c’est bâtir une société plus humaine pour tous.
Nous ne pouvons plus regarder ailleurs. Informons, partageons, alertons. Engageons-nous, à notre niveau, pour faire vivre l’intérêt supérieur de l’enfant. Chaque geste compte, chaque voix pèse. Ne laissons plus aucun enfant seul face à la justice.
Juda N’GUESSAN
Juriste Consultant indépendant / Spécialiste en Droit International des Droits de l’homme
Responsable des affaires sociales, des investigations et du contentieux du RéJADE
+225 0757646617 / judanguessan35@gmail.com