L’ÉCOLE PEUT-ELLE SAUVER DES VIES ? L’ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ DES ÉLÈVES EN AFRIQUE, ENTRE PROGRÈS LENTS ET DÉFIS STRUCTURELS

L’ÉCOLE PEUT-ELLE SAUVER DES VIES ? L’ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ DES ÉLÈVES EN AFRIQUE, ENTRE PROGRÈS LENTS ET DÉFIS STRUCTURELS

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Un élève qui fait une crise d’asthme en classe. Une fillette blessée à la jambe dans la cour de récréation. Un adolescent souffrant de maux de ventre répétés… En Afrique, ces situations banales peuvent rapidement virer au drame, car la majorité des écoles ne disposent ni d’infirmerie, ni de personnel de santé, ni même de trousse de secours. Pourtant, les enfants passent plus de 30 heures par semaine à l’école. N’est-il pas évident que ce lieu doit être aussi un espace de soins, de protection et de prévention ?

L’accès aux soins de santé en milieu scolaire est au cœur des droits de l’enfant et des politiques de développement durable. Mais aujourd’hui encore, la santé scolaire reste le parent pauvre des systèmes éducatifs africains. Des efforts ont été faits, certains progrès sont notables, mais ils restent largement en deçà des besoins réels.

Il serait injuste de nier les avancées enregistrées dans certains pays. Depuis une dizaine d’années, plusieurs États africains ont commencé à intégrer la dimension santé dans les écoles, notamment via :

  • L’introduction de campagnes de vaccination dans les établissements (polio, rougeole, HPV) ;
  • L’implantation de clubs santé scolaires pour sensibiliser les élèves à l’hygiène, à la sexualité, à la nutrition ou à la santé mentale ;
  • La mise à disposition de kits de premiers secours dans certaines écoles urbaines ;
  • La signature de conventions locales entre écoles et centres de santé communautaires dans plusieurs communes ;
  • La promotion de la santé menstruelle, avec distribution gratuite de serviettes hygiéniques dans certains collèges (ex : Rwanda, Sénégal, Bénin).

Par exemple, au Kenya, le programme National School Health Policy (2009) a permis d’introduire des modules d’éducation sanitaire, tandis qu’au Maroc, le plan « Santé scolaire 2015–2020 » a conduit à la création de plus de 1400 unités de santé en milieu scolaire.

Mais ces efforts, bien que louables, restent dispersés, mal financés, et souvent limités aux zones urbaines ou aux écoles pilotes. La majorité des élèves en Afrique, surtout en milieu rural, n’en bénéficient pas. Les progrès sont réels, mais encore largement insuffisants face à l’ampleur des besoins.

En dépit des initiatives ponctuelles, la réalité reste marquée par une carence généralisée des services de soins en milieu scolaire.

D’après l’UNICEF (rapport 2022), moins de 25 % des écoles rurales en Afrique subsaharienne disposent d’un point de premiers soins ou d’un accès formalisé à un service de santé à proximité. En Côte d’Ivoire, selon l’enquête MICS 2021, seules 6 % des écoles rurales sont en relation régulière avec un personnel de santé.

Cette situation est exacerbée par :

  • Le manque d’infrastructures : absence d’infirmerie, d’eau potable, de salle d’isolement ou de toilettes adaptées ;
  • L’absence de personnel formé : aucun infirmier scolaire dans la grande majorité des écoles publiques ;
  • La non-intégration systématique de la santé dans les plans d’établissement ou les budgets des écoles.

À cela s’ajoute une inégalité géographique importante : les zones rurales et les quartiers informels sont les plus touchés, tandis que les capitales concentrent les rares ressources disponibles. Résultat : des élèves sont contraints d’abandonner l’école pour être soignés, parfois à plusieurs kilomètres, souvent à leurs frais.

L’absence de soins dans les écoles n’est pas seulement un problème logistique : c’est une menace directe sur la vie et le développement des enfants.

  • Des maladies bénignes deviennent graves par manque de prise en charge rapide (blessures, paludisme, infections cutanées).
  • Des pathologies chroniques ne sont pas détectées : selon le consortium ACACIA, 12 % des adolescents africains urbains présentent des symptômes d’asthme sans diagnostic ni traitement (The Guardian, 2024).
  • Le taux d’absentéisme scolaire augmente, parfois jusqu’à 30 % des jours de classe perdus pour raisons de santé (OMS/UNESCO, 2022).
  • Les filles sont les plus pénalisées, notamment en période menstruelle ou en cas de violences sexuelles non prises en charge.
  • Les enseignants, démunis face aux situations médicales, subissent une pression supplémentaire et peuvent commettre des erreurs dangereuses.

L’Objectif de Développement Durable n°3, adopté par les Nations Unies en 2015, vise à garantir une vie en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous, à tout âge. Il comprend plusieurs cibles directement liées à l’école :

  • Accès universel aux soins de santé de base ;
  • Réduction de la mortalité évitable chez les enfants ;
  • Renforcement des systèmes de santé communautaires.

Appliqué au milieu scolaire, cela suppose :

  • De faire de l’école un lieu d’entrée vers les soins : pour prévenir, soigner, orienter ;
  • D’assurer un suivi sanitaire régulier des élèves, en lien avec les centres de santé ;
  • D’intégrer les questions de santé dans le projet pédagogique des établissements.

Mais dans les faits, la santé scolaire est très peu budgétisée, et souvent exclue des plans d’action nationaux. Sans investissement structurant, l’ODD 3 restera un horizon lointain pour des millions d’enfants africains.

Face à ce constat préoccupant, il est urgent de passer d’une approche symbolique de la santé scolaire à une stratégie intégrée, réaliste et systémique. Car des solutions, il en existe déjà, et certaines ont fait leurs preuves dans plusieurs pays africains.

Les plans nationaux d’éducation doivent institutionnaliser la santé comme composante obligatoire du projet d’établissement. Cela implique :

  • Une ligne budgétaire dédiée à la santé dans les écoles, intégrée aux lois de finances ;
  • Des plans stratégiques intersectoriels (éducation, santé, affaires sociales, collectivités locales) ;
  • Des indicateurs de suivi sur le nombre d’écoles équipées, les visites médicales scolaires effectuées, etc.

Chaque établissement scolaire devrait, a minima, disposer :

  • D’une trousse de premiers soins renouvelée régulièrement ;
  • D’un espace d’accueil ou de repos pour les élèves souffrants ;
  • D’un lien formalisé avec un centre de santé à proximité, voire d’un personnel affecté.

En zone rurale, il est possible d’avoir des cliniques mobiles scolaires (exemple du Ghana), ou des agents de santé communautaires affectés à un groupement d’écoles.

Les enseignants sont en première ligne : il est impératif de leur donner les outils pour intervenir sans danger. Cela suppose :

  • Une formation de base en gestes de premiers secours, reconnue et renouvelée régulièrement ;
  • Des fiches réflexes pour réagir face à une crise d’asthme, une chute, un saignement, etc. ;
  • Un système de signalement des cas de maladie ou de violence à l’administration ou aux services sociaux.

L’État ne peut tout faire seul. Il est temps de promouvoir des mécanismes communautaires et solidaires, tels que :

  • Des mutuelles scolaires à cotisation symbolique, avec subvention partielle de l’État ;
  • Des partenariats public-privé, incluant ONG, fondations, entreprises citoyennes ;
  • L’inclusion de la santé scolaire dans les régimes d’assurance maladie universelle, lorsque ceux-ci existent.

La santé n’est pas qu’un service à recevoir. C’est aussi un savoir à transmettre. Les écoles doivent intégrer dans leurs programmes :

  • Des cours d’éducation à la santé : hygiène, nutrition, sexualité, santé mentale ;
  • Des clubs santé animés par les élèves eux-mêmes, en lien avec des professionnels ;
  • Des campagnes régulières de dépistage et de sensibilisation.

Au Rwanda, le programme Health and Hygiene Clubs a permis de réduire les cas d’infections parasitaires et de renforcer la confiance des filles à l’école.

L’un des leviers les plus puissants pour garantir un accès durable, équitable et de qualité aux soins de santé des élèves est la présence permanente d’un centre médico-scolaire ou d’un personnel de santé affecté à l’établissement. Cette présence change tout.

Lorsqu’un élève fait un malaise, se blesse ou manifeste des signes de détresse, la présence d’un infirmier ou d’un agent de santé scolaire formé permet une intervention immédiate, dans un cadre sécurisé. Cela peut sauver des vies, éviter des complications, et rassurer l’ensemble de la communauté éducative.

Un centre médico-scolaire bien structuré ne se limite pas aux urgences : il permet aussi de mettre en place des bilans de santé à l’entrée en classe préparatoire ou au collège, le dépistage des troubles de la vue, de l’audition ou de la croissance, le suivi des enfants à besoins spécifiques ou à pathologies chroniques, ainsi que des actions de vaccination, de vermifugation ou de traitement collectif. Ces services permettent de prévenir l’abandon scolaire, de détecter des problèmes invisibles et de favoriser l’égalité des chances, en identifiant et accompagnant les élèves les plus vulnérables.

Dans un contexte où les enfants sont parfois exposés à des violences, à la détresse émotionnelle, à la pauvreté ou aux tensions familiales, les infirmiers scolaires peuvent jouer un rôle de repère, d’écoute et de relais vers les services compétents (psychologues, travailleurs sociaux, protection de l’enfant). Ce rôle est décisif dans la prévention du décrochage scolaire et des comportements à risque.

Les professionnels de santé scolaire jouent un rôle de courroie de transmission entre l’école, les familles et les structures de santé locales. Ils facilitent l’orientation, la prise de rendez-vous, le dialogue avec les parents et l’accompagnement des enfants malades ou en situation de handicap.

En résumé, le personnel de santé scolaire n’est pas un luxe : c’est une exigence pour toute école qui prétend protéger ses élèves. En Afrique, il est possible d’implémenter progressivement ce modèle, à l’échelle d’un groupe d’écoles, d’une commune ou d’un district, en adaptant les moyens aux contextes locaux.

Un enfant en bonne santé apprend mieux. Un élève protégé aujourd’hui devient un citoyen responsable demain.

L’école africaine ne peut plus être un lieu de silence face à la douleur, ni un lieu d’inaction face à la maladie. Elle doit devenir un espace de soins, de prévention et de dignité, où chaque enfant, riche ou pauvre, rural ou urbain, peut recevoir une aide rapide et adaptée.

Les avancées observées dans certains pays sont encourageantes, mais elles ne doivent pas masquer l’immobilisme général. Trop d’écoles restent livrées à elles-mêmes. Trop de familles souffrent en silence. Trop d’enfants manquent l’école à cause d’un simple mal de ventre, d’une crise non prise en charge, ou de règles menstruelles mal vécues.

Nous avons les outils. Nous avons les textes. Nous avons même les bonnes pratiques. Ce qui manque, c’est la volonté politique, la mobilisation collective et l’investissement soutenu.

C’est pourquoi nous appelons :

  • Les États africains à inscrire la santé scolaire comme priorité nationale ;
  • Les collectivités locales à prendre leur part dans l’équipement des écoles ;
  • Les ONG et partenaires techniques à appuyer des projets structurants, durables et inclusifs ;
  • Les citoyens et parents à exiger que leurs enfants soient soignés à l’école, comme ils le sont à la maison.

Car offrir des soins à l’école, c’est offrir une chance égale à chaque enfant. Et en Afrique, cette chance, nous la devons à notre jeunesse.

Bibliographie


Juda N’Guessan

+225 0757646617 / judanguessan35@gmail.com

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