Le numérique est aujourd’hui au cœur de nos modes de vie. Il traverse tous les champs de l’existence humaine : éducation, travail, loisirs, relations sociales. Si les adultes apprennent à s’adapter à ces transformations, les enfants, eux, y naissent. Ils grandissent avec des écrans comme compagnons quotidiens. En Afrique subsaharienne, notamment en Côte d’Ivoire, le taux de pénétration d’Internet chez les jeunes connaît une croissance exponentielle, porté par l’explosion des smartphones bon marché et la démocratisation des réseaux sociaux.
Toutefois, cette immersion précoce dans le monde numérique n’est pas sans risques. Enfants harcelés en ligne, exposés à des contenus violents ou à caractère sexuel, victimes de prédateurs ou d’exploitation de données : la vulnérabilité des plus jeunes dans cet espace doit alerter familles, éducateurs, institutions et décideurs. Il s’agit dès lors de construire une éducation numérique parentale fondée sur la prévention, l’accompagnement et la transmission de valeurs.
Le présent article se propose d’analyser les enjeux liés à la protection numérique des enfants, d’identifier les principaux dangers auxquels ils sont exposés, puis de proposer cinq piliers d’intervention parentale adaptés, dans une perspective à la fois pédagogique, éthique et citoyenne.
I. L’enfance face à la révolution numérique : entre promesses et périls
1.1. Une génération née connectée
On qualifie souvent les enfants d’aujourd’hui de « digital natives », c’est-à-dire des individus nés dans un monde déjà façonné par le numérique[1]. L’accès aux tablettes, smartphones et applications éducatives se fait souvent avant même l’âge de trois ans. Le numérique s’est imposé comme un outil de socialisation, d’apprentissage et de divertissement précoce.
En Côte d’Ivoire, selon l’Autorité de Régulation des Télécommunications (ARTCI), plus de 12 millions de personnes ont accès à Internet, dont une proportion importante de jeunes de moins de 18 ans[2]. Cette réalité impose de penser une éducation numérique structurée.
1.2. Une exposition à des risques multiples
Le numérique expose les enfants à une variété de dangers :
- Le cyberharcèlement, qui touche des millions de jeunes dans le monde[3] ;
- L’accès à des contenus inappropriés (pornographie, violence, discours haineux) ;
- Les prédateurs en ligne, qui utilisent les réseaux pour manipuler, exploiter ou abuser ;
- La captation et l’exploitation des données personnelles, parfois à l’insu des parents.
L’environnement numérique, par sa complexité et sa fluidité, peut devenir un terrain de confusion, de vulnérabilité psychologique et d’atteintes aux droits de l’enfant.
II. Le rôle pivot des parents dans la régulation de la vie numérique des enfants
L’un des défis majeurs de la parentalité moderne réside dans l’équilibre à trouver entre liberté, protection et responsabilisation. Interdire n’est plus suffisant. Déléguer aux algorithmes la fonction de protection est également illusoire. Il faut aujourd’hui construire une approche fondée sur le dialogue, la pédagogie et la confiance.
Les parents, même s’ils ne maîtrisent pas tous les outils numériques, ont un rôle central à jouer. C’est dans cette optique que nous proposons cinq axes d’action complémentaires, à intégrer dans une stratégie d’éducation numérique familiale.
III. Cinq fondements pour une parentalité numérique active et responsable
3.1. Mettre en place un contrôle parental, mais ne pas s’y limiter
Le contrôle parental est un outil utile, voire nécessaire, surtout pour les jeunes enfants. Il permet de filtrer les contenus, de limiter les horaires d’utilisation, et de bloquer certaines fonctionnalités dangereuses. De nombreuses plateformes (YouTube Kids, Google Family Link, Apple Screen Time, etc.) offrent ces fonctionnalités.
Mais ce contrôle ne saurait remplacer le rôle éducatif du parent. Il ne s’agit pas seulement de filtrer, mais d’expliquer pourquoi certains contenus sont inadaptés, d’enseigner l’autonomie dans le choix des sources, et d’apprendre à se retirer d’une situation toxique.
Comme l’explique Anne Cordier, spécialiste de la médiation numérique : « Le contrôle parental doit être une étape vers la responsabilisation, pas un moyen d’évitement de la discussion. »[4]
3.2. Instaurer un dialogue ouvert, régulier et sans jugement
Les enfants ont besoin de sentir qu’ils peuvent parler librement de ce qu’ils vivent en ligne : ce qu’ils regardent, ce qui les fait rire, ce qui les choque, ce qui les inquiète.
Instaurer un espace de parole bienveillant permet de prévenir les situations de crise. Un enfant harcelé ou manipulé en ligne sera plus enclin à demander de l’aide s’il ne craint pas de se faire réprimander.
Il ne s’agit pas de « fliquer », mais d’être présent comme guide : comprendre ses centres d’intérêt, dialoguer sur ses choix, valoriser les comportements responsables.
3.3. Éduquer à la citoyenneté numérique
Le numérique est un espace public. Être présent en ligne, c’est adopter des règles de savoir-être et de savoir-communiquer. Comme on apprend à se comporter à l’école ou dans la rue, il faut éduquer aux usages numériques :
- Respecter les autres (commentaires, messages, jeux en ligne) ;
- Ne pas partager sans consentement ;
- Vérifier la véracité d’une information ;
- Gérer son temps d’écran ;
- Développer l’esprit critique face à l’influence (publicités, défis TikTok, etc.).
Il ne s’agit pas seulement de se protéger, mais aussi de ne pas nuire aux autres, de faire du numérique un espace éthique.
3.4. Sensibiliser aux signes de danger et aux mécanismes de signalement
- Les enfants doivent être informés des situations à risque : Messages d’adultes inconnus ;
- Invitations à partager des photos ;
- Contenus violents ou choquants ;
- Sentiment d’inconfort ou de peur.
Ils doivent aussi connaître les mécanismes de signalement :
- Blocage d’un compte,
- Signalement à la plateforme,
- Demande d’aide à un adulte ou à un service spécialisé.
En Côte d’Ivoire, plusieurs initiatives de sensibilisation existent (ONG, structures gouvernementales), mais elles mériteraient d’être systématisées dans les écoles et dans les familles[5].
3.5. Accompagner sans espionner
L’accompagnement numérique repose sur la confiance mutuelle. La surveillance excessive peut produire l’effet inverse : repli sur soi, dissimulation, utilisation d’appareils cachés.
Mieux vaut opter pour une co-construction des règles :
- Fixer ensemble les temps d’écran ;
- Choisir ensemble les applications à installer ;
- Partager des moments de navigation commune.
Accompagner, c’est faire sentir à l’enfant qu’il est capable de faire des choix, mais qu’il n’est pas seul pour les assumer.
Conclusion
L’éducation numérique n’est plus une option. C’est un devoir moral, éducatif et citoyen pour chaque parent. Elle ne demande pas de tout connaître, mais d’être présent, impliqué et cohérent.
Protéger un enfant en ligne, ce n’est pas l’enfermer. C’est lui donner les clés pour ouvrir les bonnes portes et refermer les mauvaises. C’est l’aider à devenir acteur conscient de ses usages numériques, dans un monde où les écrans sont là pour durer.
Face aux risques réels, mais aussi aux promesses que porte le numérique, l’action des parents est décisive. Elle doit être proactive, bienveillante et progressive.
Car au fond, le plus puissant des pare-feux, c’est l’amour vigilant d’un parent.
Luc KOUASSI, Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Bénévole humanitaire | Président du RéJADE.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Prensky, M. (2001). Digital natives, digital immigrants. On the Horizon, 9(5), 1-6. https://doi.org/10.1108/10748120110424816
[2] Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI). (2023). Rapport annuel 2023. https://www.artci.ci
[3] UNICEF. (2022). Les enfants dans un monde numérique (Rapport annuel). https://www.unicef.org/fr/rapports
[4] Cordier, A. (2015). Grandir connectés : Les adolescents et la recherche d’information. Paris : CNRS Éditions.
[5] Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (MFFE). (2021). Plan national de protection de l’enfant 2021–2023. Abidjan : République de Côte d’Ivoire.