Les enfants sont des êtres fragiles qui ne devraient pas porter le poids d’un secret trop lourd pour leurs épaules. Derrière les murs de nos maisons, dans les recoins sombres de notre société, des milliers d’enfants sont victimes de violence. Au Bénin, derrière les sourires d’apparence et les discours officiels, des milliers d’enfants vivent chaque jour un enfer silencieux. Violences physiques, abus psychologiques, exploitation domestique : l’enfance est piétinée dans l’indifférence générale. Pire encore, le silence complice de la société et l’inaction des autorités aggravent un drame qui aurait dû mobiliser toutes les consciences. Jusqu’à quand détournerons-nous les yeux face à cette tragédie ? Briser le mur du silence est aujourd’hui un devoir moral, un impératif de justice.
Ces violences de tout genre laissent des cicatrices invisibles, mais indélébiles. Ces enfants, souvent reconnaissables grâce à leur regard éteint, sont les victimes oubliées de notre société. Ils sont habituellement réduits au silence par la peur et la honte. Dans le but de leur permettre de s’épanouir pleinement et de les protéger, il est temps de les aider à mettre en lumière leurs souffrances.
I- LE POIDS DU SILENCE : LES RAISONS DERRIÈRE LA NON-DÉNONCIATION
Les violences infantiles prennent de multiples formes : physiques, sexuelles, psychologiques, et elles laissent des marques éternelles. Au Bénin, ce fléau est une réalité alarmante. Comme le souligne l’analyse de la situation des enfants produite par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) en 2017 : « La prévalence des violences et abus faits aux enfants serait en progression continue. En 2014, plus de 91% des enfants de 11-14 ans ont affirmé avoir subi une forme de violence (89% en 2009). Une fille sur dix a de très fortes chances d’être l’objet d’une violence sexuelle ou d’attouchements. Ces cas de violences et d’abus ne sont presque jamais signalés aux agents de protection. »
Cette statistique glaçante révèle l’ampleur de la souffrance endurée par les enfants. Plusieurs facteurs empêchent ces victimes silencieuses de dénoncer les abus qu’elles subissent. En voici quelques-uns.
A- LA PEUR DES REPRÉSAILLES ET LA CULPABILITÉ
La peur des représailles des agresseurs constitue l’un des principaux obstacles à la dénonciation. En effet, les enfants craignent souvent les conséquences que leurs révélations peuvent avoir sur eux. Ils ont peur des menaces, du rejet et même des violences supplémentaires.
Par ailleurs, certains enfants peuvent se sentir responsables de ce qui leur arrive. Par exemple, dans les cas de violence sexuelle, ils ressentent de la honte et de la culpabilité. Cela les freine dans leur élan de dénonciation, car ils estiment que ce qui est arrivé est probablement leur faute. De même, ces êtres fragiles se plongent dans le silence à cause des commentaires désobligeants et des regards accusateurs que certains adultes maladroits pourraient faire ou leur lancer.
B- LA MECONNAISSANCE DES DROITS FONDAMENTAUX PAR LES ENFANTS
Un autre facteur déterminant qui alimente ce silence accablant réside dans la méconnaissance des droits fondamentaux de l’enfant. Trop d’enfants ignorent qu’ils ont le droit inaliénable d’être protégés par les adultes et certains ne savent même pas qu’ils peuvent s’exprimer librement.
Pourtant, les 54 articles de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) sont clairs : chaque enfant a le droit d’être protégé contre la violence, la maltraitance, et toute forme d’abus et d’exploitation. L’article 19 de la même convention traite de façon explicite du droit de chaque enfant à être protégé contre toute forme de violence physique ou mentale, alors que l’article 12 consacre son droit d’être entendu. C’est précisément pour cette raison que l’UNICEF accorde une importance capitale à la prise de parole des enfants et des jeunes. Cette convention, ratifiée par le Bénin reconnait le droit fondamental des enfants à s’exprimer et à être entendus. Il est donc de notre devoir impérieux d’aider les enfants à prendre connaissance de ces droits.
C- LES TABOUS CULTURELS ET SOCIAUX
Un obstacle majeur à la dénonciation des violences infantiles réside dans la persistance de certaines croyances traditionnelles qui minimisent la gravité de ces actes, voire les considèrent comme des formes acceptables de discipline. Le châtiment corporel en est un exemple frappant. Selon une étude d’Afrobarometer réalisée en 2022, une majorité écrasante de Béninois (88%) estime qu’il est « parfois justifié » ou « toujours justifié » que les parents recourent à la force physique pour discipliner leurs enfants. Cette normalisation de la violence physique créé un environnement où les enfants sont moins enclins à dénoncer les abus, car ils peuvent les percevoir comme faisant partie intégrante de leur éducation.
Pourtant, comme le souligne l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2021, l’usage de la force physique pour punir un enfant a des conséquences dévastatrices sur son développement. Il peut entrainer des difficultés scolaires, des troubles émotionnels et sociaux. Il peut même laisser des cicatrices permanentes qui freinent sa productivité à l’âge adulte. Ainsi, la banalisation de la violence physique, loin d’être une méthode éducative efficace, constitue un frein majeur à la dénonciation des violences infantiles et perpétue un cycle de souffrance et de traumatisme.
II- BRISER LE SILENCE : ENCOURAGER LES ENFANTS A PARLER
La protection des enfants est un devoir collectif. C’est le rôle des familles, des communautés, des décideurs politiques, des associations et autres. Tous ces acteurs doivent prendre les dispositions suivantes pour encourager les enfants à se confier sur les abus dont ils sont victimes.
A- LA PRIORISATION DE LA COMMUNICATION
Premièrement, nous devons créer un environnement dans lequel les enfants se sentent en sécurité et en confiance pour partager leurs expériences. Cela implique d’établir une communication ouverte et honnête, de leur montrer qu’ils sont écoutés et pris au sérieux.
En tant qu’adulte, nous pouvons inciter les enfants à s’exprimer en leur posant des questions ouvertes, en leur laissant le temps de répondre et en validant leurs sentiments. Il est essentiel de croire les enfants lorsqu’ils parlent de violence, car leur courage de se confier est immense. Une fois que nous avons leurs témoignages, il faut les signaler aux autorités compétentes et soutenir les enfants victimes dans leur processus de reconstruction.
B- LA MISE EN PLACE D’UN SYSTÈME ÉDUCATIF ADAPTÉ A LA DÉNONCIATION DES ABUS
Il faut ensuite miser sur l’éducation. Elle se révèle être un pilier fondamental dans la lutte contre les violences infantiles. En effet, elle offre aux enfants les outils nécessaires pour reconnaitre, comprendre et dénoncer les abus dont ils pourraient être victimes. En leur enseignant ce qu’est la violence sous toutes ses formes (physique, sexuelle, psychologique, etc.), on leur donne la capacité de distinguer les comportements inappropriés et de prendre conscience de leurs droits.
Il est essentiel de leur apprendre à dire « non » à toute situation qui les met mal à l’aise ou en danger. Il faut également leur faire comprendre que leur corps leur appartient et qu’ils ont le droit de le protéger. En leur fournissant des informations claires et adaptées à leurs âges, on les aide à briser le silence et à chercher de l’aide. De plus, l’éducation joue un rôle déterminant dans la déconstruction des tabous et des croyances néfastes qui entourent la violence. En leur expliquant que la violence n’est jamais acceptable et qu’ils ne sont pas responsables des abus qu’ils subissent, on leur redonne confiance et on les encourage à parler.
C- LE PARTAGE DES RESSOURCES ET DES LIGNES D’ASSISTANCE DISPONIBLE
Conscient de l’urgence de protéger les enfants victimes de violences et d’abus, le Ministère des Affaires Sociales et de la Microfinance a mis en place un dispositif de proximité : la Ligne d’Assistance aux Enfants (LAE). Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la Politique Nationale de Protection de l’Enfant (PNPE) et de son plan d’actions, qui vise à réduire toutes les formes d’exploitation, de maltraitance et d’abus à l’égard des enfants au Bénin.
La LAE se matérialise par un numéro vert, le 138, accessible gratuitement à partir de n’importe quel réseau de téléphonie. Ce numéro permet aux enfants victimes, aux témoins et aux personnes informées d’un cas de violence de signaler les faits en toute confidentialité. Ce dispositif complète les structures opérationnelles déjà existantes, comme les Centres de Promotion Sociale et les services sociaux spécialisés, afin de garantir une prise en charge globale et efficace des enfants en situation de danger.
CONCLUSION
Les violences infantiles sont une tragédie qui se déroule dans l’ombre, mais il est du devoir de tous de les exposer à la lumière. Chaque enfant a le droit de grandir dans un environnement sûr et aimant, à l’abri de la violence. En tant qu’acteurs de la société, nous devons nous unir pour briser le silence protéger nos enfants et leur offrir un avenir meilleur. Ensemble, faisons du Bénin un pays où chaque enfant peut dénoncer sans crainte les maltraitances, les abus et les violences qu’il subit dans l’ombre.
DODOMETIN Feldoline Y. Lydwine N.
Juriste Privatiste | Défenseur des droits humains | Passionnée du numérique | Rédactrice web | Gestionnaire de projets
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